Tu as osé !

Cela a commencé la nuit de mes quarante-deux ans. Je m’étais endormie seule, comme souvent, les enfants dormant paisiblement dans leurs chambres. La lune, bienveillante et pleine, s’étalait sur le parquet, dessinant des ombres douces sur les murs. Et pourtant, quelque chose était différent. Il y avait dans l’air une lourdeur étrange, un souffle ancien que je ne reconnaissais pas.

Je suis une femme libre. Mère, divorcée, exilée, artiste, survivante. C’est ainsi qu’on me nomme. Forte, audacieuse, cultivée. Mais cette nuit-là, je sentis le poids de cette liberté comme une chaîne invisible posée sur ma poitrine. J'étouffais.

En fermant les yeux, je fus projetée dans un rêve — ou était-ce une vision ? — une maison que je ne connaissais pas mais qui m’était familière m’apparut. Un miroir y trônait au centre, immense, ancien, cerclé d’un cadre en bois noirci. Lorsque je m’en approchai, je ne vis pas mon reflet.

C’était elle. Une autre moi. Plus jeune. Soumise, silencieuse, le regard baissé. Et derrière elle, des figures floues, des hommes aux voix coupantes, des femmes aux visages voilés de tristesse. Et puis elle leva les yeux, me fixa. Elle souffla sans bouger les lèvres :

« Tu as osé. »

Je me suis réveillée en sursaut. Le miroir de ma chambre me reflétait, seule, les traits tirés, mais debout.