Interview avec Frida Narin
- Adelé Kotzé
- Sep 17
- 4 min read
Écrit par Adelé Kotzé : Artistcloseup
Frida Narin
Frida a commencé à écrire dès son très jeune âge. Sa première collection de poésie, Le Silence Gris, a été publiée en 2004 en Iran, en persan. En 2015, elle a publié But I! Neither a product of love nor pleasure, une collection bilingue (persan/anglais) en Allemagne, dans laquelle elle explore les thèmes de l’amour, de la liberté, de l’identité, et de la douleur des femmes.
En 2024, Frida s’est auto-éditée deux ouvrages en français : Les douleurs des maux : une collection poétique accompagnée d’illustrations, d’histoires et de fragments d’introspection, et Les éclats de liberté, portrait d’une existante : une autobiographie poétique retraçant son combat en tant que femme kurde et sa quête de dignité. Ce livre est à la fois un témoignage intime et une lettre ouverte à tous ceux et celles qui résistent en silence. L’approche de Frida envers l’art est profondément enracinée dans l’idée de thérapie et de transmission.
Son travail en tant qu’art-thérapeute lui rappelle chaque jour que l’art peut guérir, révéler, et libérer. À travers ses œuvres visuelles et littéraires, Frida tisse un lien entre ses origines, ses blessures, et ses engagements. Elle peint et elle écrit pour se tenir droite, pour parler de ce qui est souvent tu, de ce qui reste dans l’ombre. L’art de Frida est une invitation : écouter ce que le silence chuchote, ressentir la beauté fragile et la force intérieure qui nous traversent tous.
Son désir le plus profond est que, dans chaque tableau ou chaque vers, quelqu’un puisse se reconnaître, trouver la liberté — ou simplement se sentir un peu moins seul·e.
Quel est votre parcours et comment avez-vous commencé dans le monde de l’art ?
« J’ai découvert les arts visuels au lycée. À cette époque, les élèves jugés « faibles » ou « incapables » étaient orientés vers l’art. Comme j’étais considérée comme telle, j’ai été placée dans cette filière. Pourtant, c’est là que j’ai obtenu mon diplôme en Beaux-Arts, puis j’ai continué à l’université. Pour moi, cependant, l’école était un lieu d’humiliation et de contrainte — un système conçu pour étouffer la créativité et façonner des individus dociles incapables de se rebeller.Sur seize élèves dans ma classe, j’étais la seule à refuser la soumission et à choisir un chemin différent pour ma vie. À l’époque, j’étais profondément intéressée par l’informatique, mais ni ma famille ni mon école ne prenaient ce désir au sérieux. Ils me jugeaient « incapable », et j’ai été contrainte vers les arts visuels. Ce n’était pas par respect pour l’art, mais par mépris — un moyen facile de se débarrasser des élèves considérés comme marginaux. Un diplôme n’était vu que comme nécessaire pour obtenir le respect dans la société et assurer un « bon » mari.Je me suis sentie incomprise et humiliée. Alors, j’ai décidé de prouver que le problème ne venait pas de moi, mais du système éducatif lui-même : un système patriarcal et autoritaire construit sur l’effacement de mon identité en tant que femme et kurde. C’est ainsi que l’art est devenu mon arme — un moyen de résistance face à l’injustice. Depuis l’enfance, je mène ce combat, et l’art m’a donné la force de poursuivre. »
Qu’est-ce qui vous inspire ?
« Mon inspiration vient de l’injustice, la violence, la guerre, l’enfance, la liberté volée, la solitude, la douleur, et du chemin de la reconnexion avec soi-même. J’exprime aussi mes émotions les plus intimes : chaque rêve et chaque cauchemar que je traverse trouve sa place dans mes tableaux. »
Quels thèmes explorez-vous ? Y a-t-il un message sous-jacent dans votre travail ?
« Mon art est intimement lié à ma quête de liberté et à la récupération de ma féminité, qui m’a été volée. À travers mon travail, j’essaie de redécouvrir cette liberté, de la célébrer, et de redonner vie à la femme que d’autres ont tenté d’effacer. »
Comment décririez-vous votre travail ?
« Mon style se situe à la croisée du symbolisme et du surréalisme. Ce n’était pas un choix délibéré — ces modes d’expression se sont simplement imposés à moi, comme une nécessité intérieure. Ils me permettent d’exprimer plus profondément mon expérience. Je ne peins pas pour créer quelque chose de “beau” ou pour plaire. Mes œuvres naissent de mon histoire, de mes rêves, de mes douleurs et de mes cauchemars. Pour moi, l’art est avant tout une thérapie, un espace de survie, une façon de respirer et de vivre plus librement. »
Quels artistes vous influencent le plus ?
« Je suis profondément inspirée par Salvador Dalí, Frida Kahlo, Van Gogh, et Léonard de Vinci, ainsi que par de nombreux artistes contemporains et classiques que j’ai rencontrés. Chacun d’eux, à sa manière, m’a touchée et influencée. Ceux qui racontent une histoire et parviennent à toucher quelque chose de profond en moi. Les artistes qui ébranlent tout mon être et mes pensées quand je découvre leur travail. »
Comment est votre processus créatif ?
« J’ai commencé à écrire mes poèmes et mes pensées en secret quand j’avais 15 ans. Deux ans après avoir fini mes études universitaires, j’ai dû quitter l’Iran. J’étais vue comme une jeune femme rebelle et dangereuse ; ma vie était en danger, et en 2007, j’ai pris la fuite pour sauver ma liberté. Depuis, je vis en exil. Mon processus créatif est façonné par ce combat : liberté, identité, et exil sont au cœur de mon travail. »
Quel rôle l’artiste joue-t-il dans la société, et comment voyez-vous cette évolution ?
« L’art est une arme puissante — parfois plus forte qu’une armée. Il permet de dire l’indicible, de dénoncer sans violence, d’éveiller les consciences sans donner d’ordre, sans blesser, sans détruire. La liberté que l’art nous offre ne peut venir d’autre chose. Une chanson, un tableau, un poème, un roman, ou un film peut transformer la vie d’une personne. Moi-même, j’ai été profondément émue et changée par des œuvres d’art que j’ai rencontrées sur mon chemin. »
Avez-vous eu des expositions dont vous souhaiteriez parler ?
« Ma dernière exposition a eu lieu du 5 au 19 juillet à la Maison des Arts à Jaunay-Marigny. J’ai été profondément émue de voir certains visiteurs pleurer en regardant mes peintures. Beaucoup m’ont dit qu’ils avaient fortement ressenti mon message sur la liberté. Pour moi, ces moments de connexion ont été la plus grande récompense. »


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